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L'Historien et les mémoires de la Seconde Guerre Mondiale

Une société démocratique ne peut pas en rester à un rapport simplement patrimonial et mémorial à son passé. Elle se doit de le regarder en face. Et pour cela, le travail de l'historien est indispensable. En effet, il a une approche objective et scientifique du passé puisqu'il travaille à partir de sources.

Le mémoire est souvent subjective et en proie aux émotions → Historien et mémoire ont donc deux approches bien différentes des événements passés

Mémoire = Présence sélective de souvenirs du passé dans la société. Elle peut faciliter ou gêner l'interprétation d'une période par des historiens.

Celui-ci est confronté à une forte diversité de mémoires de la Seconde Guerre Mondiale :

  • État met d'abord en avant que tous les Français étaient résistants (héroïsation nationale, de la France libre et de la résistance). Il reconnaît ensuite que les crimes de Vichy étaient aussi ceux de la France

  • Souvenir des Juifs déportés a d'abord été assimilé à l'ensemble des déportés, puis la spécificité de la Shoah a fait émerger une mémoire juive de la déportation.

Chaque groupe politique, social ou culturel exprime une strate de l'histoire de la Seconde Guerre Mondiale. Mais comprendre l'histoire d'une période, c'est aussi étudier la manière dont sa mémoire s'est diffusée. Il est alors de plus en plus demandé à l'historien d'intervenir dans le débat public.

Quel rôle ont joué les historiens dans l'évolution des mémoires de la Seconde Guerre Mondiale ?

I - LA MÉMOIRE RÉSISTANTE : MYTHE ET RÉALITÉ (1944-1972)

A la libération, l'exaltation de la France résistante relègue le régime de Vichy dans l'ombre des "années noires". C'est le temps des tabous. Pourtant, avec le temps, le souvenir de Vichy refait surface, suscitant polémiques et conflits de mémoire. L'historien Henry Rousso a ainsi parlé du "passé qui ne passe pas".

Mais alors, dans quelle mesure la France assume-t-elle son passé dans la Seconde Guerre Mondiale ?

L'histoire et les mémoires de la Résistance et de la collaboration (livre p.24)

Rappels :

- France vaincue en 1940

- 1942/1943, De Gaulle effectue un travail diplomatique pour faire passer la France du côté des vainqueurs

- 1942 : France totalement occupée

Mémoire de la Résistance et unité nationale

A) Le mythe de la résistancialiste à la Libération

Après la défaite de 1940, Pétain met en place le régime de Vichy et collabore avec l'occupant nazi. Pour la majorité des Français, l'armistice et le nouveau régime constituent un soulagement. Mais rapidement le soutien à Pétain et à sa politique antisémite fait place à l'attentisme dans la grande majorité et divise une minorité de Français (55 000 Français s'engagent dans les forces de Vichy / 500 000 Français participent à la Libération).En 1945, la France est un pays traumatisé, tout est à reconstruire. La France sort du conflit très affaiblie. De Gaulle parvient à la faire reconnaître auprès des Alliés comme puissance victorieuse obtient même une zone d'occupation française sur le territoire Allemand.En même temps, le gouvernement, constitué de toutes les tendances de la Résistance, engage les réformes nécessaires au redressement du pays :

  • Politique : rétablissement de la République, droit de vote accordé aux femmes

  • Économique : nationalisation, planification souple

  • Sociale : Création de la sécurité sociale, allocations familiales

De Gaulle choisit donc de faire de Vichy une parenthèse dans l'histoire de France pour montrer aux Alliés que l'ordre Républicain et l'Unité Nationale son restaurés. Le régime de Vichy est déclaré comme "nul et non avenu".

Par ailleurs, dès 1944 commence l'épuration, qui vise ceux qui ont collaboré avec l'occupant.

Doc 1 - L'épuration sauvage

La photo représente une violente scène d'épuration où des personnes soupçonnées de collaborations sont soumis à la violence du peuple

Collaboration horizontale : Française qui ont eu des relations sexuelles avec un Allemand

L'acte de tonte est une castration symbolique puisqu'il y a arrachement et privation d'un des attributs féminins (cheveux)

Justice du peuple : C'est le peuple qui se rend justice à cause du désir de vengeance et du besoin de faire payer → plus de 20 000 femmes ont subies ce sort

L'épuration officielle n'est mise en place par De Gaulle que plus tard : tribunaux, chambres de justice chargées de juger les personnes pour collaboration → 7000 condamnations à mort donc 800 seulement seront appliquées.

Le jugements de Français se fait jusqu'à celui des responsables du régime de Vichy : Pétain sera jugé, condamné à mort puis gracié par De Gaulle.

On distingue les collaborationnistes = qui partage l'idéologie (exemple Laval qui sera condamné) des collaborateurs = pas porté sur l'idéologie mais qui participe par les actes (exemple Brasillach qui sera fusillé)

Doc 2 - L'amnistie en débat

Amnistie = Suppression de condamnations

Les lois d'amnisties sont votées entre 1946 et 1953, elles ont pour but de permettre la réconciliation, éviter les tensions et les suspicions, restaurer et reconstruire la France

B) Les conflits la mémoire dans les années 1950

Les débuts de la guerre froide conduisent les références à la Résistance à se politiser et divisent les mémoires de la France

Doc 3 et 4 - Les mémoires de la Résistance

Deux types de mémoires :

1 - Mémoire Communiste

  • Affiche électorale et affiche de propagande

  • "Le parti des 75 000 fusillés"

  • Valorisation des communistes qui se représentent comme des martyrs (=hommes et femmes s'étant battus pour la France) et héros de guerre

  • Croix dessinées + expression "par dizaine de milliers" → quantité

  • Mise en évidence du traumatisme des communistes causés par le pacte de Staline/Hitler, l'invasion de l'URSS par l'Allemagne et la mise en place du régime de Vichy (≠ idéologie communiste)

  • Volonté de retrouver une France apaisée et maternelle (image de la mère et de l'enfant)

  • Retour de l'espoir

  • Apaisement, sérénité, clarté (couleur bleue prédominante)

2 - Mémoire Gaulliste

  • S'appuie sur la figure de Jean Moulin (courage, torture, arrestation, plein de convictions, unifier la résistance)

  • Image de la résistance

Cette bipolarisation mémorielle laisse peu de place aux autres mémoires. La mémoire juive ne trouve qu'une faible tribune, même si la presse se fait l'écho, en 1945, du retour des camps.

Les déportés du STO sont assimilés aux prisonniers de guerre.

Doc 5 - Une lecture historique de Vichy

Thèse de Robert Aron, Histoire de Vichy : Vision des missions qui relève de stratégie consciente et volontaire (point de vue Subjectif)

Thèse du bouclier et de l'épée :

Épée = De Gaulle : mission de reconquête militaire, honneur militaire

Bouclier = Pétain : mission de protection, honneur civique

C - La construction d'une mémoire officielle gaulliste

La mémoire gaulliste triomphe avec le retour du général de Gaulle au pouvoir en 1958. Déjà en 1951 et 1953, des lois d'amnistie vident les prisons des derniers condamnés pour collaboration. L'exaltation d'une France unie dans le combat contre le nazisme s'inscrit dans la volonté de surmonter les difficultés de la guerre d'Algérie.

De grandes cérémonies nationales mettent en scène cette mémoire officielle.

  • A partir de 1953, le 8 mai devient jour férié pour commémorer la fin de la guerre.

  • En 1960, le Mémorial de la France combattante est inauguré

  • En 1964, transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon

  • La culture populaire répercute ce mythe d'une France unie et résistante (La Bataille du Rail, La Grande Vadrouille)

II - LE TEMPS DU RÉVEIL DES CONSCIENCES : LES MÉMOIRES FACE À L'HISTOIRE À PARTIR DE 1973

A) Rupture historiographique à partir des années 1970 : la remise en cause du mythe résistancialiste et un nouveau regard sur Vichy

Le syndrome de Vichy évolue dans les années 70. Plusieurs événements précipitent le retour des souvenirs refoulés :

  • Libéralisation de la société (à partir de 1968)

  • Sortie du film Le Chagrin et la Pitié de Marcel Ophüls (1971)

Pour l'Historien Henri Rousso, "le miroir se brise".

Parallèlement, la mémoire juive émerge et s'affirme. Le procès d'Adolf Eichmann en Israël (1961) libère la parole des survivants. Ce procès affirme, pour la première fois devant l'opinion internationale, la spécifité du génocide. La mémoire du génocide est désormais constitutive de l'identité juive. Mais parler devint une exigence lorsque les négationnistes commencent à s'exprimer dans les médias. En 1978, Darquier de Pellepoix, commissaire général aux questions juives du régime de Vichy déclare "à Auschwitz, on a gazé les poux"

L'année suivante Beate et Segre Klarsfeld créent l'association Fils et Filles des déportés juifs de France, association "militante de la mémoire"

B) Le temps des procès dans les années 1980-1990

Le réveil mémoriel provoque la traque des derniers criminels de guerre :

  • 1979, le haut fonctionnaire Jean Leguay → premier français inculpé de crime contre l'humanité

  • 1987, Klaus Barbie → condamné à la réclusion criminelle à perpétuité

  • 1991, Paul Touvier → condamné à perpétuité

  • 1991, René Bousquet → assassiné avant son procès

  • 1998, Maurice Papon → condamné

La diffusion en 1985 du film Shoah de Claude Lanzmann provoque un choc. Cette longue enquête, constituée de témoignages directs de rescapés et de bourreaux, décrit le fonctionnement précis de ce que l'Historien américain Raul Hilberg appelle La Destruction des Juifs d'Europe

Les révélations sur le passé Vichyste de François Mitterand troublent l'opinion. Fonctionnaire à Vichy, décoré de la francisque par Pétain, il était aussi à partir de 1943 à la tête d'un mouvement de résistance. Les historiens qualifient ceux qui, après avoir soutenu le régime de Vichy, entrent dans la résistance, de vichysto-résistants.

Le scandale provoqué par le fleurissement de la tombe de Pétain entre 1984 et 1992 ajoute au malaise.

C) Le temps du devoir de mémoire depuis les années 1990

Les années 1990 ont été les années de la reconstruction mémorielle :

  • Loi Gayssot (1990) sanctionne l'expression publique du négationnisme (nier l'existence des événements qui ont eu lieu)

  • 1995, Jacques Chirac reconnaît la complicité et la responsabilité de l'État Français dans la déportation des Juifs de France

  • Eglise et Police font acte de repentance

Depuis, la mémoire de la Shoah est très présente dans la politique mémorielle de l'État:

  • 1999 , l'État indemnise les familles juives spoliées et les enfants déportés

  • 2001, Fondation pour la mémoire de la Shoah est crée

  • 2005, Fondation pour la mémoire de la Shoah est inaugurée

Les tensions liées à la guerre ne sont pas éteintes :

  • 2007, circulaire de Nicolas Sarkozy qui demande que lecture soit faire aux lycées de la dernière lettre du militant communiste Guy Môquet

→ le Président Sarkozy est alors accusé de vouloir instrumentaliser la mémoire du conflit

CONCLUSION

Pour une Nation, il n'est jamais facile d'assumer ses erreurs, encore moins ses crimes, qu'ils soient individuels ou collectifs, surtout pour un pays brisé par la défaite de 1940 puis par la collaboration et qui cherche à reconstruire son unité et sa puissance. Ainsi de 1945 à 1970, se constitue une mémoire patriotique de la guerre marquée par l'amnistie des collaborateurs, l'oubli de vaincus et des victimes et la mise en avant d'une France résistante. Cependant, malgré les silences, la vérité a progressé depuis les années 1970 à nos jours. Les acteurs de la période ont pris la parole, analysée par les historiens, le débat s'est dépassionné, les archives se sont ouvertes permettant de multiplier les thèses sur cette période. De nouveaux enjeux mémoriels sont apparus mettant en avant un autre regard sur Vichy, l'importance de la Shoah et faisant évoluer la figure du résistant et émerger les Justes de France.

Mais les débats publics sur la mémoire et la place de l'historien dans ces derniers concernant une période particulièrement tourmentée de l'histoire de France soulèvent encore aujourd'hui de nombreuses questions.


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